création: Maladif



Maladif
Croise les jambes. Les décroise immédiatement. Pose ses paumes moites sur ses cuisses.
Inspiration.
La cadence de sa respiration laisse transparaître une poitrine faussement gonflée.
Expiration.
La pièce est suffocante. Sous sa jupe de jeans, l’intérieur de ses cuisses nues colle entre elles. De légères traces rougeâtres marquent sa chair humide.
Angoisse
Des palpitations au cœur lui rappellent qu’elle se retrouve à cet endroit, dans cette salle terne, pour une raison bien précise, par choix.
Une porte s’ouvre.
Un homme, en habit blanc comme les murs, pose un regard sur la salle comble. D’une voix forte mais agréable, il lance : « Madame Mélissa Labonté, je vous prie ». Elle se lève. Tremble de l’intérieur, mais avance tout de même d’un pas assuré vers l’homme qui comblera ses désirs, son désir.

***
Mais qu’est-ce qu’elle fait bon sens?

 Benoît attend déjà depuis plusieurs heures. Elle n’a pourtant pas l’habitude de le faire patienter autant. Il se lève du canapé et se rend au réfrigérateur pour prendre sa troisième bière de la journée.

Les bagages sont prêts. Il a pris soin de tout préparer, pour lui faire la surprise. Il veut faire en sorte que Mélanie et lui passent une belle semaine, éloignés de tout ce qui nuit à leur couple depuis un certain temps. Ayant fait demi-tour pour retourner sur le canapé, il s’arrête devant des photos, posées stratégiquement sur le mur.
Ils ont l’air heureux.

Qu’est-ce qui a bien pu leur arriver? Ils font vie commune depuis déjà cinq ans. Le sourire qui encombrait son visage autrefois n’est plus là depuis déjà un moment. Mélanie a perdu goût à la vie et parfois, Benoît se demande si elle a perdu foi en leur amour.

Ses cheveux chocolat, parsemés de reflets roux. Ses yeux d’un vert éclatant lorsque le soleil fait son entrée. Ses petites taches de rousseur plus prononcées après une journée de plein air.

Une semaine à la mer, seuls, avec comme décor une immense étendue d’eau salée et le bruit des vagues fouettant le sable, c’est ce qu’il leur faut. Prendre du bon temps, rire pour les petites choses simples de la vie, comme des enfants. Il a loué une chambre dans un petit motel. Bien que financièrement il n’a pas les moyens de s’offrir la chambre la plus luxueuse, avec vue directe sur la plage, Benoît s’est dit qu’il pouvait tout de même offrir une petite semaine de bonheur et de tranquillité à sa douce.

Bière en main, il se rassoit et attend.

***
Elle entre. D’un signe de main, l’homme en blanc lui présente le fauteuil qui se trouve à sa droite. Il se retourne et prend place devant elle. Un bureau de bois vernis les sépare. Les yeux verts de Mélanie croisent le regard bleu persan le l’homme imposant. Il lui tend la main.

Mélanie ne sait pas par où commencer. Il y a déjà longtemps qu’elle pense à ce rendez-vous. Elle s’est demandé si c’était vraiment la bonne chose à faire, si c’est ce qu’elle voulait vraiment. Elle a toujours ressenti des complexes qu’elle dissimulait derrière des blagues auxquelles maintenant elle ne croit plus.

Elle ne s’aime pas, et rien jusqu’à maintenant n’a pu l’aider à reprendre confiance en elle.

Henri deToulouse-Lautrec, Woman before a Mirror, 1897
Hier soir, sortant de la douche, elle s’est longuement regardée dans le miroir. Se tournant et se retournant afin d’examiner pleinement son jeune corps de vingt ans. Une forte carrure fait en sorte qu’elle ne peut être mince et svelte comme elle le désire. Elle observe son nez, qu’elle trouve disproportionné pour la taille fine de ses lèvres. Ses taches de rousseur semblent envahir son visage, elle les déteste. Mélanie trace du bout de son index le contour de son visage qu’elle trouve trop rond, sans éclat. Sa main continue son chemin pour descendre vers ses épaules, puis effleure ses seins. Ses seins. Pour ne pas dire masse de chair se retrouvant là, dans le seul et unique but qu’un jour peut-être, un enfant les considère comme un moyen de subsistance. Le peu de masse mammaire qu’elle possède descend vers le bas, pour laisser place à une forme étrange, ressemblant à un cylindre émincé. D’énormes mamelles terminent ces deux formes qui n’avantagent pas sa silhouette. Malgré tous les soutiens-gorge et décolletés existant sur la planète, elle n’est jamais arrivée à trouver quoi que ce soit pouvant avantager cette malformation. Elle avait quelques kilos en trop, comme la majeure partie des femmes ordinaires, mais ces quelques kilos sont, pour la plupart, logés dans ses cuisses et vers le bas de son corps.

Elle a l’air d’une poire.

Elle se sent transparente.

« Bonjour Docteur, j’aimerais… j’aimerais subir une augmentation mammaire… »

Elle prend le petit sac noir posé à ses pieds et en sort une liasse de billets, verts, rouges, bruns. Elle s’est bien renseignée, consciente des risques et effets secondaires. Non, elle ne veut plus y réfléchir, elle veut changer, elle doit changer.

« Vous savez, mademoiselle Labonté, la liste est longue pour ce genre d’interventions. Nous sommes dans l’ère du paraître et la chirurgie esthétique est de plus en plus en demande. »

Pas le temps, pas le temps d’attendre du tout. Mélanie veut un rendez-vous tout de suite, maintenant. Elle fouille de nouveau dans son sac et jette plusieurs autres billets sur la table.

Elle se déteste.

L’homme en blanc prend les billets dans ses mains. Les compte un à un. Le rendez-vous est fixé deux jours plus tard.
***
La porte se referme. Benoît se retourne et aperçoit Mélanie dans l’embrasure de la porte. Enfin. Il l’observe. Le regard de sa douce se pose sur la montagne de valises placées au côté de la porte. Elle fige. « Chérie, j’espère que tu es prête, tous les préparatifs sont faits! On part une semaine décompresser en amoureux! »

C’est impossible. Elle ne peut pas partir une semaine au loin. Son rendez-vous est pour dans deux jours, elle ne peut pas le manquer. Elle en a besoin.

Mais Benoît n’est pas au courant.

-          Partir? J’peux pas…J’peux pas partir Ben… 
-          Ben voyons, qu’est ce que tu dis là? Tu peux partir certain. On travaille pas ni l’un   ni l’autre cette semaine. Tu vas voir, ça va nous faire du bien… 
-          Ben, faut que j’te parle… J’reviens de chez le médecin…

Mélaniensent l’angoisse monter en elle. Elle ne partira pas, point à la ligne. Son choix est fait et rien au monde ne lui fera changer d’avis. Ses mains deviennent moites. Son regard se pose sur tout ce qui l’entoure. Tout, sauf dans le regard de Benoît.

-          Tu reviens de chez le médecin? Mais qu’est ce que t’as, t’es malade? Pourquoi tu m’en as pas parlé?

Elle est malade, effectivement.

-          Ben, j’passerai pas par quatre chemins. J’vais me faire refaire les seins... Dans deux jours.

Silence.

La tension monte. Le pouls de Benoît s’accélère. Il sent les nerfs de son cou se tendre. Il serre les poings. C’est impossible. Il ne peut se retenir. Une boule l’empêche de respirer. Il tente de respirer calmement, mais il ne peut que crier.

-          T’es folle ou quoi criss? Te faire refaire les seins. Tu veux ressembler à toutes les nunuches blondes sans quotient intellectuel? Qu’est ce que tu essaies de prouver en faisant ça? T’es pas bien?

Les larmes lui montent aux yeux. Elle veut fuir, mais reste immobile.

-          C’est ça, tu m’aimes plus. Tu veux pouvoir te pavaner devant tous ces mecs aux gros muscles. J’le savais qui s’passait quelque chose de pas normal. T’es pu comme avant. Tu deviens… tu deviens superficielle. Comme toutes les barbies qui vont aller faire soigner leur chihuahua à ta clinique.
-          T’es vraiment borné Benoît. Un maudit borné qui veut rien comprendre. J’le fais pas pour toi, ni pour personne d’autre que moi.

Autre silence.

Mélanie dépose son sac à main et se rend lentement vers la chaise la plus près. Elle s’assoit et pose les yeux au sol.

Un seul son se fait entendre. Un rire.

- J’te comprends tellement pas Mel. T’es tellement belle comme tu es. Tu peux même faire bien des jalouses… Pis tu sais, j’vais avoir l’air de quoi moi avec une blonde qui porte du double D? Tu sais à quoi j’vais ressembler? À Pascal, le voisin. Tu sais, celui qui paie des faux seins à toutes ses nouvelles conquêtes. Tu veux vraiment que je passe pour ce genre de gars? Un macho insensible pour qui la taille des seins de sa blonde doit être supérieure à la taille de son QI? Franchement Mel, raisonne-toi un peu… Pis de toute façon, avec quoi tu comptes payer ça? Tes études, ça coute cher…
***
Mélanie se lève, s’approche de Benoît et le fixe. Il lui sourit. Elle lui prend les mains et lui murmure à l’oreille : « Mon choix est fait Ben. La chirurgie est payée. Prends cette semaine pour toi, pars au loin. À ton retour, tu auras le choix; accepter, ou me quitter. »

Pour la première fois de sa vie, Mélanie reste forte et ne bronche pas. Elle se penche, prend son sac et quitte l’appartement, en fermant doucement la porte.

Réflexion critique
Mon projet de création raconte l’histoire d’une jeune femme du nom de Mélanie, dans le début de la vingtaine, qui veut subir une chirurgie esthétique pour une augmentation mammaire. Son copain, Lucas, est en désaccord avec cette idée. L’histoire est écrite par scènes, variant entre la focalisation de l’homme vers celle de la femme. Les scènes nous aident à comprendre les pensées et agissements des personnages. Il y a une grande quantité de descriptions et d’actions, posées par les personnages, afin de ne pas stagner dans leurs pensées intérieures, le but étant de réussir à comprendre leur point de vue qui diffère, grâce aux actions qu’ils posent.

 Mon projet de création est en lien avec mon analyse par la focalisation qui varie d’un personnage féminin vers un personnage masculin. J’ai voulu, par l’intermédiaire de deux personnages, adopter différentes actions et descriptions menant vers une analyse comparative des pensées masculines, celles de Benoît, et féminines, celles de Mélanie. Le sujet de ma création est la chirurgie esthétique, élément de plus en plus présent dans la société contemporaine. Bien que l’inspiration vienne de mon entourage, l’univers dépeint est totalement fictif. Les personnages ne baignent pas dans les clichés habituels reliés à la chirurgie esthétique, ils sont, chacun à leur façon,  intelligents et attachants.  La forme caricaturale n’est pas utilisée pour les caractéristiques des personnages, Benoît l’utilise seulement à des fins anecdotiques.

Ma création est un amalgame de phrases courtes et saccadées, qui accentuent le côté « maladif » de Mélanie. Le texte, dans son ensemble, est écrit au présent lorsqu’il est question de la description de l’action. L’utilisation du présent aide à bien refléter les pensées des personnages, tandis que les temps de verbe au passé servent à décrire les situations antérieures qui ont mené vers la problématique. L’utilisation fréquente de dialogues accroît la mise en situation conflictuelle. La description est plus présente au point de vue physique que psychologique, le but étant de plonger le lecteur dans l’univers des personnages et de les comprendre par leurs actions, postures, etc. De plus, un ton dramatique est utilisé, ce qui mène vers une meilleure compréhension des aspects psychologiques du texte.

Je me suis inspirée d’un exercice de style que nous avons vu au courant de la session dernière, en création littéraire, afin de bien utiliser la description de l’action. Premièrement, au début du texte, je me suis mise dans la peau du personnage, imitant les gestes qu’une personne angoissée aurait tendance à faire et qui représenteraient bien cet état d’âme. Je l’ai ensuite écrit. Par la suite, j’ai tenté de percevoir les personnages d’un point de vue extérieur, de sorte que les actions qu’ils posent reflètent leurs pensées. Bien entendu, des descriptions de pensées sont également incorporées, mais j’ai tenté de mettre l’accent sur la description de l’action.

La chirurgie plastique est un phénomène récent. Elle fait partie des nouvelles chirurgies contemporaines et est en expansion constante depuis le vingtième siècle. L’émancipation des femmes ainsi que le désir de plaire sont des facteurs qui jouent un rôle important dans l’amplification de ce phénomène. La chirurgie esthétique pose certaines problématiques dans la société. Certains la qualifieront de superficielle et diront qu’elle exerce une sorte d’oppression chez les femmes, tandis que d’autres voient cet avancement chirurgical comme une nouvelle voie de liberté pour la femme[1]. Le sujet de la chirurgie esthétique entre en lien avec celui de la prostitution, puisque ces deux phénomènes sont victimes de jugement et sont des dilemmes moraux. La vision des femmes comparativement à celle des hommes diverge également quant à ces sujets. Dans ma création comme dans mon analyse, la vision du sexe féminin et celle du sexe masculin sont bien différentes. Le lien qui unit l’analyse de la création est la comparaison entre les deux visions. De plus, puisqu’il y a changement de focalisation, d’une femme vers un homme, entre les scènes, on peut faire le lien en le roman Nana d’Émile Zola, écrit par un homme et celui de Nelly Arcan, Putain, écrit par une femme.


Bibliographie
Mercier, Élisabeth, « Penser autrement » La chirurgie esthétique d’un point de vue communicationnel, COMMposite, vol. 11, nº 1, 2008, p. 1-24


[1] Mercier, Élisabeth, « Penser autrement » La chirurgie esthétique d’un point de vue communicationnel, COMMposite, vol. 11, nº 1 p. 3